Népal, Dolpo

Le voyage au Dolpo, un pays caché, béy-yül en tibétain, était un trek de 21 jours de marche. Cette contrée aurait été découverte par le grand maître tantrique Guru Rimpoché, Padmasambhava, au 7e siècle AD. Des écrivains voyageurs qui ont publié des ouvrages, je retiendrais le livre de Peter Matthiessen, Le léopard des Neiges, compte rendu du voyage effectué en 1973.

Je l'ai fait en 1995, du 29 juillet au 27 août. Après un vol Lufthansa via Frankfort, l'arrivée à Katmandu était à l'heure prévue.

Ce trek était une première. L'office du tourisme népalais avait ouvert la région aux étrangers en 1993 assorti d'un numérus clausus, 200 autorisations par an, et d'un permis de trekking conséquent, $1.100 payables en espèces.

Le récit est en cinq tableaux accompagnés de cinq thèmes concernant la région. Les généralités sont donnés par la présentation du Népal.

Dolpo

Swayambhu

Portrait

Hélicoptère soviétique

Le Dolpo :
Le Dolpo est situé dans la partie septentrionale  du Népal à la frontière chinoise et au nord-ouest de Katmandu. Il s'étend au nord de la chaîne du Dhaulagiri vers la source de la rivière Karnali et à l'ouest du royaume de Lho, connu  en Occident sous le nom de Mustang. L'influence de la mousson est faible. Il est à la même latitude que Le Caire. C'est une terre de maigres pâturages, habitée par de robustes nomades. D'une altitude moyenne de 4.000 m il est coupé par des vallées orientées nord sud. Des cols à +5.000m permettent de passer d'une vallée à l'autre réalisant des axes de circulation aux caravanes de yaks pour commercer avec le plateau tibétain. Il est admis qu'il est peuplé de Tibétains depuis les premiers siècles de notre ère. A notre époque, c'est le point de passage pour les réfugiés tibétains fuyant le régime chinois et la colonisation du Tibet.
Le Dolpo est en partie dans le She-Phoksundo National Park du nom du plus célèbre monastère de cette région,She Gompa, et du lac, Phoksundo, aux eaux turquoises.

 

 

L'approche: Le délai d'approche de Paris à la base de départ du trek, Dunaï, a été de cinq jours tenant compte d'une journée d'arrêt à Kathmandu pour l'obtention et le paiement du permis de trekking et d'une journée de transit à Nepalganj dans l'attente d'un hélicoptère pour aller à Juphal, 2.470m. Le transfert en hélicoptère d'origine soviétique a été un moment exceptionnel. Le groupe de 16 personnes s'installa avec les bagages dans l'appareil qui a pris son envol dans un bruit assourdissant accompagné de vibrations de la carlingue à douter de la bonne fin de l'heure de vol. La vue des paysage était splendide, la machine volait au ras de la cime des arbres et de la crête des montagnes. A l'intérieur la température monta à près de 40°C dans une humidité digne d'un sauna.


La randonnée commença à partir de Juphal par une marche de mise en jambe de 3 heures jusqu'à Dunaï. Cette première partie du trek se passa dans le centre du Népal composé de moyennes montagnes et de plateaux. La chaleur était intense et l'humidité forte, cette région est sous l'influence de la mousson encore notable en août.
Pendant les 21 jours du trek, le groupe était accompagné d'un officier de liaison népalais chargé de vérifier que le trajet correspondait au permis de trekking délivré par l'Office du Tourisme de Katmandu.

Shey Gompa

La spiritualité :
Le monastère au Dolpo est un lieu de formation et d'approfondissement pour la préparation des Lamas. Dans une région sans école, sans système médical, sans justice, le Lama Tibétain assume toutes ces fonctions en parcourant le Dolpo. Il règle les problèmes domestiques et de voisinage, l'éducation des enfants et la santé. Il incarne les plus hautes valeurs de la culture tibétaine : paix de l'âme, bonté, compassion, respect des tous les êtres. Dans l'une des régions les plus pauvres de l'un des pays les plus pauvres de la planète, la culture tibétaine n'est pas dévoyée. Les monastères du Dolpo appartiennent à l'une des 17 sectes du Bouddhisme Tantrique, de plus deux d'entre eux, Ring-Mo et Samling, sont rattachés à la religion ancestrale Bonpo. Le monastère tibétain ne doit pas être compris à l'aune de la religion chrétienne. Le moine n'a pas de vocation, il n'y a pas l'appel de Dieu, mais plus prosaïquement c'est un problème économique. La référence à l'Occident Chrétien doit être fait par rapport au Moyen Âge.
Il faut souhaiter que le tourisme, fut-il de trekking, saura respecter cette civilisation dans son milieu écologique. La limitation censitaire du tourisme devrait y aider.

Phoksundo Lake: Trois jours ont été nécessaires pour atteindre le lac aux eaux turquoises, 3450 m. Le monastère de Ring-Mo d'obédience Bonpo a été visité le lendemain à la première heure pour assister à la prière du matin. Le Bonpo était antérieur au Bouddhisme, il en est devenu une secte. Mais les fidèles pratiquent la circumambulation dans le sens inverse. A l'extérieur de très beaux chortens annoncent le monastère. La salle de prière possède d'impressionnants masques de danse d'exorcisation.

Shey Gompa:  Trois jours pour  monter au Monastère de Cristal assorti du passage du premier col à +5.000m.  Le monastère agrippé à la montagne ocre rouge est en parfaite harmonie avec elle. A l'extérieur des chortens annoncent le monastère. L'intérieur présente des peintures et statues dans la tradition du Bouddhisme Tantrique, secte Kargyupa.

Phoksundo lake

Piste en corniche

Habitat


Au départ de Phoksundo, le chemin est en encorbellement sur la paroi abrupte au dessus du lac turquoise. Objet d'une séquence du film  - Himalaya, naissance d'un chef - il offre une vue imprenable sur le lac et sur les montagnes environnantes.

Saldang

Un col

Saldang

Habitat

Le Dolpo-pa :
Le Dolpo est considéré comme la dernière  enclave de l'Himalaya d'une authentique culture tibétaine. Le Dolpo-pa, habitant du Dolpo, est agriculteur, éleveur et caravanier par nécessité. Il faut rappeler que la structure sociale tibétaine est basée sur la polyandrie. La femme, épouse de l'aîné de la famille, s'occupe aussi des travaux des champs. La coiffe de l'épouse, Tikpu, est composée d'un plateau courbé de métal, laiton argenté, posé transversalement sur la tête. La vie en haute altitude, la sélection naturelle entraîne une population à la démographie peu évolutive, la mortalité infantile est importante. La conséquence est la pluridisciplinarité des gens. L'artisanat est l'affaire de tous et des plus habiles. L'entraide, la solidarité fait partie de la vie des habitants de la région.
Seul le métier des métaux est en marge de la société tibétaine, comme au Moyen Âge en Occident. Le maréchal-ferrant, le gara, habite généralement en dehors du village près du cours d'eau pour son outil de travail. Il est tout à la fois forgeron, serrurier,  orfèvre.
Le médecin, l'amchi,  joue un rôle important dans ces régions reculées et isolées. Bien souvent le savoir se transmet dans la famille. Les substances médicamenteuses sont d'origine minérale, animale, végétale. Il est aidé dans bien des cas par le Lama, dans sa fonction d'exorciseur, la prière apporte du soulagement.

 

Saldang, Le village est construit sur une corniche au bord d'un précipice sur la  rivière noire. Le groupe de trekking a passé deux nuits pour visiter ce beau village. Le temps était maussade, un orage de grêle s'est abattu en submergeant complètement le campement.


La première partie du trek prit fin au village de Saldang, point le plus au nord du trek. A partir de là ce fut le retour vers le sud avec le passage de cinq cols à +5.000 m pour aller à Jomson. Le village de Dho Trap a été atteint en quatre jours de marche.

Dho Tarap

Les Caravanes du Sel et du Grain:
Avant 1950, invasion du Tibet par la Chine, les échanges commerciaux entre le Dolpo et les basses vallées de Hurikot, Chaurikot, et Talphi, pays des Rong-pa, étaient assurées par les Rong-pa qui apportaient le grain au Dolpo à dos de moutons et de chèvres pour le troquer contre le sel. Les Dolpo-pa allaient au Tibet pour échanger le grain des basses vallées contre du sel et mettre les yaks dans les pâturages du Tibet pendant l'hiver. Ainsi le commerce était réparti entre les Rong-pa et les Dolpo-pa. Les termes de l'échange étaient équitables.
Après 1950, les chinois ont fermé la frontière et rationné le sel exporté par les Dolpo-pa. En conséquence les Rong-pa s'approvisionnent  en sel indien en provenance des salines du Gujarat. Il est moins cher mais il contient moins d'éléments essentiels à la nourriture du bétail. Ils continuent donc à acheter du sel aux Dolpo-pa mais en moindre quantité et à moindre coût. De plus les Dolpo-pa ne peuvent plus mettre leur yaks dans les pâturages d'hiver au Tibet. Ils descendent donc avec eux dans les basses vallées du Népal pour vendre le sel et acquérir le droit d'y mettre les yaks en pâture. Les termes de l'échange sont beaucoup moins favorables aux Dolpo-pa.
L'invasion du Tibet a bouleversé l'équilibre économique ancestral de cette région. Certes les enjeux, pour la Chine, n'ont pas de communes mesures avec les quelques milliers de Dolpo-pa. De plus la culture Tibétaine n'est pas tasse de thé des chinois.

 

Dho Tarap, 4.100 m, est un important village de la vallée de la Tarap, carrefour de pistes pour aller vers le sud ouest, village de Tarakot ou vers le sud est pour rejoindre Jomoson, notre but pour prendre l'hélicoptère vers Pokara.

Habitat

Séchage de la viande

Nature morte


Le trajet vers Jomson dura 9 jours avec quatre cols à + 5.000m. De très nombreux villages ont été traversés. L'arrivée parfois en début d'après midi me permit de les visiter et d'être accueilli par les villageois dans leur maison. L'accueil était toujours chaleureux et empreint de curiosité vis à vis de l'étranger. J'ai eu ainsi l'occasion de goûter aux boissons alcoolisées locales, Chang, bière d'orge, et le Rakshi, alcool de grain. L'effet était souvent redoutable pour mon organisme fatigué et en altitude.

Jomson

Portrait

Yak

Annapurna

L'habitat :
A la différence de certains pays, la maison individuelle procède de l'adaptation du fort et du monastère et non l'inverse. Les Tibétains ont vécu et vivent encore sous la tente. Les constructions sont faites en pisé, terre mouillée mélangée avec de la paille et parfois de la bouse de yaks. Cet agrégat est utilisé soit sous forme de briques soit coulé dans un coffrage fait de deux planches. En haute altitude, le mur en pisé devient dur comme de la roche. Pour éviter l'érosion par la pluie, le faîtage des murs est protégé soit par des dalles de pierre soit par des fagots de branchage faisant partie intégrante de la maison. Noircis par les intempéries, les fagots sont devenus une frise noire décorative.
Comme dans la plupart des régions montagneuses, la maison a deux étages, un rez-de-chaussée est réservé aux animaux et une pièce unique servant de cuisine et de chambre d'hiver. L'étage supérieure regroupe la chapelle privée, la pièce d'été et une chambre d'hôte. La terrasse stocke le bois et sert au séchage de la viande.
Le rez-de-chaussée de la maison est souvent caractérisé par l'absence de fenêtre et de conduit d'évacuation des fumées. La suie noircit et suinte le long des murs. La fumée stagnant en hauteur, la vie quotidienne se passe assis à terre, il faut entrer courbé dans la maison pour s'asseoir aussitôt. Les Dolpo-pa ont de sérieux problèmes ophtalmologiques.
Dans les villages agrippés à la paroi de la montagne, la circulation dans le village est faite de terrasse  en terrasse des maisons à l'aide d'échelles dont les marches ont été taillées dans un tronc d'un arbre. Ce principe a été utilisé par les Indiens d'Amérique du Nord.

Jomoson, 2.760 m. Le dernier col avant Jomson offre une vue exceptionnelle sur la vallée de la Kali Gandaki qui prend le nom de Mustang Khola après le village de Geling. Mais ceci est une autre histoire présentée lors du prochain trek vers Lo Manthang.
La vallée de Khali Gandaki est une véritable saignée dans le massif montagneux, elle est entourée de deux sommets à +8.000 m, Le Dhaulagiri, 8.167 m, et l'Annapurna, 8078 m. La dénivelée est supérieure à celle du Grand Canyon de l'ouest américain.


Le voyage au Dolpo a été, comme celui du Zanskar, fait dans une région à l'économie de montagne précaire. Cette précarité a été aggravée par l'invasion et la colonisation du Tibet par la Chine.
Le nationalisme et l'impérialisme des États, en général, érigent des frontières qui sont autant de barrières à la circulation des biens et des personnes de même civilisation. Ce fait prit naissance en Europe après la révolution française de 1789 qui instaura le concept de nation. Avant cette date, les personnes et les idées circulaient librement dans cette région de l'Atlantique à l'Oural.
L'observation de la vie quotidienne des Dolpo-pa a confirmé la relation biunivoque entre les conditions de vie et la civilisation  assortie du fait religieux. Il n'y a jamais eu de civilisation sans religion, compris comme fait sociologique. 


Le retour en France a été effectué, en vol Lufthansa via Frankfort, avec un départ en fin de matinée et une arrivée à Paris dans la nuit du même jour.

Neuilly, le 2003/07/24